"Un poulet en colère peut très vite devenir un coq de combat"
Policiers asphyxiés ! Citoyens vaches à lait !" Le slogan jaillit d'un énorme haut-parleur parqué devant le 1, boulevard de Bercy dans le 12e arrondissement de Paris. Plus habitués à maintenir l'ordre qu'a vitupérer contre le pouvoir en place, plusieurs centaines de policiers ont néanmoins répondu, jeudi 3 décembre, à l'appel à manifester du premier syndicat de gardiens de la paix, l'Union SGP-FO/Unité police. "Tous ensemble ! Tous ensemble !" tonne la police... dans le calme.
Les gardiens de la paix ont beau avoir laissé leurs uniformes au vestiaire, ils ont tout de même conservé leur sens de l'ordre. Bien groupés sur le large trottoir qui borde le ministère des finances, les policiers en colère ne troublent pas l'ordre public et dénoncent d'une seule voix "la politique de chiffres" à laquelle ils se disent soumis. Une politique qui nous "éloigne du métier de police pour lequel on s'est engagé" témoigne un gardien de la paix des Yvelines, en bleu depuis vingt ans.
"SI JE CONSTATE UN DÉFAUT D'ASSURANCE, C'EST UNE ÉLUCIDATION"
"Notre hiérarchie nous soumet à une pression constante pour obtenir des résultats qui n'ont rien à voir avec notre mission de maintien de l'ordre public" poursuit Axel, policier depuis dix ans. "Nous sommes notés en fonction du nombre de timbres-amendes qui entrent dans les caisses et du nombre d'affaires résolues, explique une jeune femme. Mais une élucidation d'affaire peut prendre plusieurs formes : si je constate un défaut d'assurance, c'est une élucidation. Si j'arrête un dealer, c'est une élucidation également. Lorsque la brigade reçoit le message d'augmenter ses statistiques d'élucidation, il est plus rentable de se poser au coin d'une rue un peu roulante et de faire du contrôle routier que de traquer des délinquants. La hiérarchie préfère les bons chiffres."
"Il faut faire la police et des économies", déplore également Lauraine, dans la police depuis cinq ans. "Si on repère un trafic et que le suspect prend la fuite, nous devons parfois ne pas le poursuivre car nous risquons d'abîmer nos véhicules qui sont déjà en bout de course. Je n'ai pas choisi ce métier pour avoir à faire ce genre de choix", explique-t-elle. Jean, vingt ans de maison, estime que le tournant a eu lieu avec le millénaire : "Depuis le début des années 2000, nous n'avons plus les moyens de nos missions. Notre véhicule break affiche 160 000 km au compteur, poursuit Benoît. "Une partie de notre matériel informatique, c'est de la récup' dans les bureaux d'une compagnie d'assurance qui a fermé boutique", raconte un autre gardien de la paix.
"SI NOUS INTERVENONS, CELA DÉGÉNÈRE"
Souvent le choix de ne pas intervenir est lié au rendement attendu. Une logique qui a créé des zones de non-droit, reconnaissent du bout des lèvres les policiers."Des quartiers sont devenus imperméables aux forces de police. Si nous intervenons, cela dégénère, et nous devons mobiliser d'autres collègues. Et pour finalement quel résultat ? Les interventions ont un coût", expliquent plusieurs membres d'une même brigade.
Gardiens, gardiennes, jeunes bleus ou vieux routiers du macadam francilien, la plupart soulignent le sentiment d'être dirigés à vue, en fonction de considérations politiques et médiatiques immédiates, loin du rôle du policier dans la société. "Une semaine nous devons axer notre action sur les sans-papiers, la semaine suivante sur les délits routiers, la troisième sur les bandes... cela n'a pas de sens. La police doit avoir constamment une action globale et sur le long terme", rappelle un brigadier.
"Un poulet en colère peut très vite devenir un coq de combat", lance à ses collègues Nicolas Comte, secrétaire général de l'Union SGP-FO/Unité police avant d'égrener les autres raisons qui ont précipité la police dans la rue : le paiement d'heures supplémentaires, les disparités avec les gendarmes concernant les logements de fonction et les réductions SNCF, le maintien du régime spécial de retraite et l'acquisition d'une équivalence catégorie B de leur statut de fonctionnaire. Des revendications ambitieuses... à l'approche des élections professionnelles de janvier 2010.
Eric Nunès